Son
regard fouillait la ligne sombre des sapins, un peu sur la gauche, un
stade* plus loin. D'après le bruit maintenant plus fort, l'animal
devait être de taille.
" Très gros, vraiment très gros
", se dit-il en même temps que sa propre réflexion
fit naître en lui en sentiment d'inquiétude. Cela déclencha
chez lui un réflexe immédiat de prudence et il se jeta
à plat ventre dans le tapis épais de feuilles rousses,
au creux d'un talus qui jouxtait de grand chênes centenaires.
Bien lui en prit, car son gibier apparut à la lisière
des sapins: deux cavaliers montés sur de lourds chevaux
courts sur pattes. Deux cavaliers qu'Aetius n'eut aucune peine
à identifier, deux pillards de cette horde de Francs Rhénans*
qui écumaient la région depuis quelque temps. Deux
pillards qui se livraient certainement à la même
activité que lui mais qu'il valait mieux éviter.
Ce qui étonna Aetius, c'est que ces deux pillards se soient aventurés
aussi près du campement.
Les deux cavaliers étaient vêtus
d'amples tuniques de toile épaisse qui leur couvraient
les genoux. Ils portaient de grosses bottes fourrées, tout
comme les chapeaux vaguement pointus qu'ils avaient sur le sommet
de leurs visages patibulaires. Une longue épée était
glissée dans leur ceinture de cuir. Ils s'arrêtèrent,
leurs chevaux humant soudainement l'air autour d'eux. Les pillards
ne s'y trompaient pas. Ces chevaux, peu esthétiques ni
rapides, étaient robustes et dotés d'une sorte de
flair comparable à celui des plus fins limiers. Ceci faisait
d'eux d'excellents chevaux à pister un animal. Aetius se recroquevilla
un peu plus dans son tapis de feuilles.
Les minutes qui suivirent lui parurent interminables,
le silence pesant comme une chape de plomb sur les alentours.
Le temps était comme arrêté et Aetius sentait
son sang battre dans ses artères. Les deux hommes échangeaient
des propos dans une langue qu'il ne comprenait pas.
Enfin, sur un signe de celui qui se trouvait
devant, ils poussèrent un cri aigu et reprirent leur avancée
dans le sous-bois, pour disparaître à l'opposé
des grands chênes. Aetius aspira une grande goulée d'air
frais qui lui permit de retrouver un peu de calme. Pendant quelques
instants il avait réellement craint d'être découvert.
Il décida qu'il valait mieux cesser sa
partie de chasse pour aujourd'hui et regagner des lieux plus sûrs.
D'ailleurs, il rendrait compte aux gardes du campement de la présence
de pillards à peu de distance en réalité.
Cela valait la peine d'être examiné et peut-être
des mesures supplémentaires de protection seraient-elles
mises en place. S'étant assuré discrètement
que les deux cavaliers avaient bien disparu, il sortit de sa cachette
et regagna rapidement le semblant de sentier qui le ramènerait
chez lui. Il marchait d'un pas rapide, bien décidé
à mettre le plus de distance entre ces hommes et lui.
Il remonta la longue pente des feuillus, traversa
par deux fois le ruisseau de Bellus qui faisait ici quelques méandres
entre les pierres de grès et les mousses aquatiques. Il
avançait l'esprit plus serein, lorsqu'un nouveau bruit,
montant rapidement en intensité se fit entendre. Cette
fois, il n'eut pas le temps d'en chercher l'origine: il l'avait
devant lui, à quelques pas* seulement. Un cavalier, semblable
à ceux entr'aperçus tantôt, se tenait là,
dans le creux d'une ravine, juché sur son cheval bas. Il
tenait son épée dressée et un mauvais sourire,
presque un rictus, tordait son visage. Ses petits yeux noirs brillaient
d'une lueur mauvaise.
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16 suite
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